Contes pour petits et grands : La sorcière de Vaux-sur-Vienne
(Écriture Irène Arretaud, librement inspiré du conte de Robert Colle, « La sorcière de Saintes »)
Les drus Bois de la Côte s’étirant au sud-est de Vaux-sur-Vienne étant le repère des loups et des bandits, les habitants aimaient peu s’y aventurer. D’autre part en bordure du boqueteau, sur la route menant au village puis au port de Vaux-sur-Vienne, résidait une mauvaise et caractérielle sorcière qui tourmentait et malmenait uniquement les hommes du village qui passaient par là. En revanche elle laissait passer les femmes et les enfants.
Jeune fille, cette femme devenue sorcière, faisait partie d’une des plus nobles familles de Vaux-sur-Vienne. Éclairée et cultivée, elle était toutefois la risée des jeunes hommes en raison de sa laideur. Les jeunes gens préféraient se marier avec les amies et compagnes de la jeune femme. Restée vieille fille et devenu aigrie, elle pactisa avec le malin et s’initia ainsi à la magie noire.
Maîtrisant cette dernière, elle n’utilisa pourtant pas de sortilèges à son avantage: elle ne voulait pas être aimée pour sa beauté mais bien pour elle-même, et avec le temps elle nourrissait une incommensurable haine pour la gente masculine.
Les hommes du village - artisans, marchands, bateliers, cultivateurs….. - commencèrent à tirer la sonnette d’alarme sur la catastrophe économique engendrée par le comportement névrosé de la sorcière.
Une délégation des hommes du village alla trouver l’un des moines du prieuré de Saint-Denis1 de Vaux-sur-Vienne nommé Guillaume2 qui était, avant son entrée au prieuré, un intrépide et pieux chevalier. La délégation fit donc appel à lui pour débarrasser le village de la sorcière. Par sens du devoir et par charité chrétienne, Guillaume accepta cette mission.
Après avoir prié dans la chapelle du prieuré sur les reliques de Saint-Denis et fait un vœu, il se mit en route vers le boqueteau de la Côte, lieu de résidence de la sorcière. Arrivé sur place, il vit soudain jaillir de derrière un arbre la sorcière hirsute, les yeux rougeoyants et crachant du venin de sa bouche édentée. Armée d’un glaive elle tenta de frapper le bon moine Guillaume, aguerri et protégé par une sorte de bouclier sacré invisible. Le moine Guillaume parvint à couper le bras droit de la sorcière qui, hurlant de douleur, pris la fuite dans les fourrés. Le moine Guillaume roula le bras dans son capuchon et regagna le village.
À son arrivée, les habitants lui firent une ovation. Racontant l’issue du combat avec la sorcière, les villageois lui demandèrent de lui montrer le bras de la créature.
- « Non, rétorqua Guillaume, j’ai fait le serment à Saint-Denis que je ne le montrerais à personne, et je vais respecter ce dernier. »
Il rejoignit ensuite son prieuré, où il fut accueilli avec joie et soulagement par sa communauté. Un de ses frères moine lui dit :
- « Je brûle de curiosité, pourrais-je contempler le bras de cette élève du Diable ? »
- « Non, répondit Guillaume inébranlable, j’ai fait un vœu auprès de Saint-Denis et je vais m’y tenir »
Peu de temps après, se présenta devant Guillaume, le prieur de la communauté, devant lequel Guillaume s’inclina respectueusement. Le prieur lui fit part de son apaisement et de sa satisfaction de le voir de retour dans la communauté après cette aventure. Puis le prieur ajouta :
- « Vous ne contesterez pas à celui qui vous dirige la joie de voir un bras de sorcière ? »
- J’ai juré de ne le montrer à personne, toutefois le respect que l’on doit à ses supérieurs est plus fort qu’une promesse. Voici le bras de la sorcière, dit Guillaume en sortant ce dernier de son capuchon. »
À cet instant, le prieur rejeta sa bure, laissant échapper un rire diabolique, et pris la forme de la sorcière, qui arracha son bras des mains de Guillaume, le remit à sa place et s’enfuit dans les airs.
Après cette mésaventure, les villageois de Vaux-sur-Vienne apprirent tout de même une bonne nouvelle. La sorcière avait quitté le village pour s’installer au port de Vaux-sur-Vienne, où grâce à son caractère tatillon et intraitable, elle fut embauchée comme « perceptrice » pour recevoir les taxes à l’entrée du port de Vaux-sur-Vienne3 et comme « passeuse » pour assurer la surveillance du bac !
1. Le prieuré Saint-Denis de Vaux, installé aux VI e-VII e siècles, succède dans doute à une première implantation religieuse plus ancienne (IIIe-IVe siècles). Ce dernier dépendait de l’abbaye royale de Saint-Denis située au Nord de Paris. L’un des plus célèbres abbés de Saint-Denis, proche de la royauté, fut l’abbé Suger entre 1120 et 1150.
Le prieuré Saint-Denis de Vaux est extrêmement prospère et participe à l’essor économique du bourg, mais aussi à son essor administratif et spirituel et ce jusqu’au XVIIIe siècle.
2. Le moine Guillaume n’était pas chevalier, mais était l’ami et le secrétaire de l’abbé Suger. À la mort de Suger, Guillaume en disgrâce, décide de se retirer à Vaux malgré les sollicitations de ses frères réclamant son retour à Paris. Il laisse un témoignage écrit inestimable sur l’histoire du prieuré, et du bourg qu’il aimait tant, et où il fut enterré.
3. Le port fut aménagé dès le XIIe siècle et conserva une grande importance jusqu’à la fin du XIX e siècle.